Omnibus & CSRD : Un revirement qui interroge la cohérence et la vision de l’Europe
Un grand merci à l’Europe pour ce coup de théâtre qui met en lumière plusieurs paradoxes et incohérences, en particulier vis-à-vis des principes fondamentaux établis dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).
Rédigé le Jeudi 6 Mars 2025
1. Une mise en pratique contradictoire des principes de la CSRD
1.1 Identification et priorisation des impacts, risques et opportunités
L’Europe s’est dotée d’un cadre rigoureux pour identifier, analyser et prioriser les IIRO (Impacts Négatifs et Positifs, les Risques et Opportunités) liés à la chaîne de valeur économique. Pourtant, sa gestion (bouleversée par Omnibus) semble aller à l’encontre de ce principe.
Avant Omnibus, la CSRD s’appliquait à environ 50 000 entreprises en Europe, contre seulement moins de 10 000 sous la directive NFRD précédente (source : Commission Européenne). Avec Omnibus, ces chiffres pourraient être revus à la baisse (1000 ?), réduisant l’impact global du reporting.
Conclusion : Il est essentiel d’appliquer à soi-même les exigences que l’on impose aux autres.
1.2 Consultation des parties prenantes, Absence d’anticipation des rapports de force politiques & commerciaux internationaux
Le principe fondamental de la CSRD repose sur la consultation et la collaboration avec l’ensemble des parties prenantes. Or, ce revirement, intervenu un an après la publication de la directive sous la pression tardive du Président Américain, soulève des questions sur la transparence et l’adhésion des parties prenantes internationales. Une approche progressive et inclusive aurait pu éviter un tel revirement. Par exemple, la norme ISSB, qui est en train de s’imposer à l’échelle mondiale, repose sur des consultations multi-acteurs régulières et un alignement plus fort avec les attentes des investisseurs et entreprises.
Conclusion 1 : Une consultation large et anticipée reste la meilleure approche pour assurer l’adhésion et la pertinence des réglementations.
Les conséquences économiques et diplomatiques de la CSRD auraient mérité une anticipation plus fine, notamment vis-à-vis des relations avec les grandes puissances économiques mondiales.
Conclusion 2 : L’analyse des risques doit intégrer les interactions géopolitiques et économiques.
Et d’ailleurs, que pensent réellement les entreprises françaises de la CSRD ? MakeSense a interrogé près de 300 cadres et dirigeants français (DG, DAF, responsables RSE et gestion des risques), directement impliqués dans la mise en conformité à la CSRD. La consultation, menée du 10 au 18 février 2025, révèle que 80% des entreprises répondantes sont satisfaites de la CSRD et du contenu de la directive actuelle.
Conclusion 3 : La consultation des parties prenantes doit tenir compte des acteurs qui ont été directement concernés par cette directive.
Enfin, qu’en est-il des États-Unis ? La Securities and Exchange Commission (SEC) élabore des normes de reporting ESG potentiellement plus contraignantes que la CSRD. Un paradoxe se dessine : tandis que l’Europe allège ses règles, les États-Unis pourraient aller dans la direction opposée.
Conclusion 4 : D’où un alignement stratégique nécessaire entre les différentes nations…
1.3 Surestimation des opportunités et absence de considération des effets secondaires
L’essor de nouvelles activités économiques basées sur la CSRD (formations, reconversions de professionnels, startups, services de conseil,…) a été rapidement freiné par le revirement de l’Omnibus. Cela soulève des questions sur les investissements et emplois engagés dans cette transition. Depuis son adoption en 2022, des millions, voire des milliards d’euros ont été investis par les entreprises et les gouvernements pour accompagner la mise en œuvre de la CSRD. Qu’adviendra-t-il de ces fonds à présent ?
Conclusion : Une opportunité (mal évaluée) peut générer des impacts et des risques non anticipés.
1.4 Coût et efficacité de l’investissement public
La mise en place de la CSRD et de l’Omnibus a impliqué d’importantes dépenses publiques en matière de réflexion, construction et mise en œuvre. L’Europe doit rendre compte des financements publics alloués à la CSRD et à Omnibus, afin d’évaluer l’impact budgétaire réel de ces choix et d’éviter de futurs revirements coûteux.
Conclusion : Une transparence sur le coût global de ces initiatives permettrait aux citoyens d’évaluer la pertinence de ces choix, en fonction des impacts et risques que ça pouvait engendrer.
1.5 Un outil affaibli par ses propres créateurs
La valeur initiale de la CSRD, qui visait à structurer une économie plus durable, est désormais fragilisée par des ajustements rétroactifs.
Conclusion : La cohérence et la stabilité réglementaire sont essentielles pour crédibiliser toute initiative.
2. Un exemple contre-productif pour les entreprises
2.1 Une stratégie remise en question trop rapidement
L’annulation partielle de la CSRD à la première opposition significative met en lumière une gestion insuffisamment anticipée.
Conclusion : Une stratégie doit reposer sur des bases solides, une analyse approfondie des risques et une gestion de projet rigoureuse.
2.2 Une approche plus simple et agile aurait été préférable
Plutôt qu’un retour en arrière, une approche progressive et adaptative aurait permis d’assurer une transition plus stable.
Conclusion : Une mise en œuvre agile et évolutive prévaut sur un revirement total.
2.3 La cohérence de la CSRD en question
Si l’objectif était de favoriser la transparence, la durabilité et une économie plus éthique, comment en sommes-nous arrivés à un tel recul ?
Conclusion : Il est essentiel de maintenir le cap sur les objectifs fondamentaux et de ne pas perdre de vue l’intérêt initial (et collectif).
3. Leadership et crédibilité de l’Europe
3.1 Une stratégie dictée par des pressions extérieures ?
L’Europe semble avoir reculé face aux pressions économiques et diplomatiques. Selon une analyse de Reuters, les pressions de grandes entreprises multinationales et du gouvernement américain ont joué un rôle déterminant dans le recul de la CSRD.
Conclusion : La souveraineté réglementaire est un enjeu clé pour asseoir la crédibilité et la cohérence d’une stratégie.
3.2 Quid de la perception des citoyens et des entreprises ?
Ce revirement affaiblit la confiance des parties prenantes envers les institutions européennes. À long terme, cette décision risque d’impacter négativement l’image de l’Europe en matière de leadership sur la transition durable, laissant place à d’autres acteurs internationaux pour définir les standards ESG.
Conclusion : Une vision de long terme et une posture ferme sont indispensables pour assurer la crédibilité et la durabilité des politiques publiques.
4. Les enjeux réels : priorité aux risques majeurs
4.1 Un focus excessif sur les enjeux commerciaux ?
Si les tensions commerciales sont importantes, elles ne doivent pas occulter des problématiques plus urgentes.
Conclusion : Omnibus ou pas, le mal est déjà fait, l’essor d’une guerre commerciale internationale est déjà en marche.
4.2 Une dégradation environnementale et sociétale alarmante
Pendant que ces débats occupent l’agenda politique, les crises écologiques et sociales s’aggravent.
Conclusion : L’urgence climatique et sociale doit rester au centre des décisions. Quel héritage sommes-nous en train de laisser à nos descendants ? Sans parler d’une démonstration éducative qui vise, une fois de plus, à l’irresponsabilité, l’individualisme et l’opportunisme.
5. Vers une responsabilisation collective
5.1 Une Responsabilité Politique alignée et cohérente
Il est encore temps d’agir en s’appuyant sur des décisions claires, anticipées et cohérentes. Il en va de la responsabilité collective de l’Europe et de ses citoyens.
Conclusion : Anticiper plutôt que subir. La prise de conscience doit se traduire par une stratégie maîtrisée, des actions concrètes et durables.
5.2 Une Simplification et un Volontariat qui doit produire des impacts positifs
- Certains estiment que l’Omnibus permet une simplification administrative nécessaire et un meilleur accès aux réglementations pour les PME. Mais cette réduction de contraintes se fait-elle au détriment des engagements de durabilité ? Quoiqu’il en soit, la CSRD était sur-représentée (et sur-facturée) en termes de complexité, il s’agit peut-être d’un rééquilibrage nécessaire en ce sens !
- Le VSME (Voluntary Standard for non-listed micro-, small- and medium-sized undertakings) doit être un outil porté par les dirigeants, chefs d’entreprises et tous les acteurs économiques. Mais n’oublions pas que la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) était déjà inscrite dans une démarche volontaire et n’a donné que trop peu de résultats concrets, face à l’urgence grandissante des enjeux environnementaux, sociaux et sociaux. À la différence qu’aujourd’hui, les entreprises sont confrontées à des enjeux et des risques concrets qui devraient les amener à adopter la VSME, avec une accessibilité stratégique, méthodologique, opérationnelle et financière à la portée du plus grand nombre !
Conclusion générale
L’Omnibus marque-t-il un tournant vers plus de pragmatisme ou un renoncement face à des enjeux majeurs ?
Il faut espérer que :
- Le Paquet Omnibus ne sera pas voté en l’état et prévoit de nouvelles évolutions vertueuses pour le bien commun. Car Omnibus doit être validé par le Parlement européen et le Conseil de l’UE avant son adoption définitive. Ce processus pourrait prendre plusieurs mois, voire jusqu’en 2026.
- Les entreprises comprennent que la CSRD est avant tout un outil stratégique et opérationnel visant à optimiser les coûts, améliorer la performance et assurer leur pérennité en intégrant les enjeux actuels et futurs.
Et dans tous les cas, cela appelle à la mobilisation générale (citoyenne, économique,…) et à la responsabilité individuelle et collective.
L’avenir nous le dira, mais une chose est certaine : seule une stratégie stable, inclusive et cohérente permettra de répondre aux défis du XXIe siècle. Fort heureusement, tout est encore possible.
Sources
Sources officielles et réglementaires :
Portail RSE du gouvernement français
👉 https://portail-rse.beta.gouv.fr/csrd/seuils-csrd-omnibus-criteres-d-application/
Commission Européenne – CSRD
👉 https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/company-reporting-and-auditing/company-reporting/corporate-sustainability-reporting_en
👉 https://commission.europa.eu/news/commission-proposes-cut-red-tape-and-simplify-business-environment-2025-02-26_fr
👉 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_25_615
Normes :
👉 ISSB : International Sustainability Standards Board : https://fr.wikipedia.org/wiki/International_Sustainability_Standards_Board
Perspectives d’acteurs économiques et scientifiques :
👉 The World Economic Forum : The Global Risks Report 2024 – https://www3.weforum.org/docs/WEF_The_Global_Risks_Report_2024.pdf
👉 Consultation de MakeSense : https://make-sense.notion.site/consultationcsrd
Analyses et articles journalistiques :
Reuters – Analyse sur l’Omnibus et la simplification des règles de durabilité
👉 https://www.reuters.com/world/europe/eu-set-propose-sweeping-red-tape-cuts-boost-business-competitiveness-2025-02-26/
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L’auteure de ce contenu
Aurélie VASSELIN, Fondatrice de Titanesque
Experte Business, Innovation, Digital, Humain & Durabilité
- Manager de transition, Consultante, Coach, Animatrice et Formatrice dans la construction, la direction, le développement ou la transformation : Business, Innovation, Digital, Humain & Durabilité (Stratégie, Stratégie Opérationnelle et Opérationnel)
- Experte pluridisciplinaire transversale depuis 20 ans : Business, Digital, Marketing, Communication, WebMarketing, Expérience Utilisateur, Gestion de projets complexes, Ingénierie Pédagogique, Management, Humain et Durabilité
- Animatrice d’ateliers d’intelligence collective (Certifiée Mentor Boite à Impact®, The Week Entreprise)